Moment magnétique anomal

En physique des particules, le moment magnétique anomal[a] désigne l'écart entre la valeur du facteur de Landé g d'un lepton et la valeur g Dirac = 2 {\displaystyle g_{\,{\text{Dirac}}}=2} donnée par l'équation de Dirac. Cette anomalie est remarquablement bien expliquée par le modèle standard, en particulier par l'électrodynamique quantique, lorsque l'influence du vide quantique est prise en compte.

L'anomalie est une quantité sans dimension[4], notée a {\displaystyle a} [4],[5] et donnée par : a = g 2 2 {\displaystyle a={\frac {g-2}{2}}} [4],[5],[6].

Rappels sur le moment magnétique de spin

Définition et facteur de Landé

Au moment cinétique orbital d'une particule de charge q {\displaystyle q} et de masse m {\displaystyle m} est associé un moment magnétique orbital :

μ L   =   q 2 m   L {\displaystyle {\vec {\mu }}_{L}\ =\ {\frac {q}{2m}}\ {\vec {L}}}

Le facteur q / 2 m {\displaystyle q/2m} est appelé rapport gyromagnétique. De même, on associe à une particule de charge q {\displaystyle q} , de masse m {\displaystyle m} , et de spin S, un moment magnétique de spin :

μ S   =   g   q 2 m   S {\displaystyle {\vec {\mu }}_{S}\ =\ g\ {\frac {q}{2m}}\ {\vec {S}}}

g {\displaystyle g} est un nombre pur, appelé facteur de Landé (1921). Ce nombre varie selon la nature de la particule : on a approximativement g = 2 {\displaystyle g=-2} pour l'électron, g = + 5 , 586 {\displaystyle g=+5,586} pour le proton, et g = 3 , 826 {\displaystyle g=-3,826} pour le neutron[7].

Magnéton de Bohr

Pour l'électron, les valeurs propres du spin selon un axe sont S z = ± / 2 {\displaystyle S_{z}=\pm \hbar /2}  ; on introduit alors le « quantum de moment magnétique » suivant, appelé magnéton de Bohr :

μ B = e 2 m e {\displaystyle \mu _{\rm {B}}={\frac {e\hbar }{2m_{\rm {e}}}}}

Moment magnétique anomal de l'électron

L'équation de Dirac prédit pour l'électron un facteur de Landé exactement égal à : g = 2 {\displaystyle g=-2} . Or, la valeur expérimentale admise en 2014 vaut :

g     2 , 002   319   304   361   82 ( 52 ) {\displaystyle g\ \simeq \ -2,002\ 319\ 304\ 361\ 82(52)}

Il existe donc un écart, décelé pour la première fois en 1947 dans la structure hyperfine de l'hydrogène et du deutérium[8].

Anomalie

On est ainsi amené à introduire une anomalie a {\displaystyle a} , définie par :

g   =   2   ( 1 + a ) a   =   g 2 2 {\displaystyle g\ =\ 2\ \left(\,1\,+\,a\,\right)\quad \Longleftrightarrow \quad a\ =\ {\frac {g\,-\,2}{2}}}

La théorie quantique des champs du modèle standard permet de calculer cette anomalie. La contribution dominante vient de l'électrodynamique quantique perturbative, et se présente sous la forme d'un développement en série de puissances de la constante de structure fine α {\displaystyle \alpha } , également appelée constante de couplage. Plus précisément, on est amené à écrire le développement suivant :

a   =   A 1   α 1   +   A 2   α 1 2   +   A 3   α 1 3   +   A 4   α 1 4   +   o ( α 1 4 ) {\displaystyle a\ =\ A_{1}\ \alpha _{1}\ +\ A_{2}\ \alpha _{1}^{2}\ +\ A_{3}\ \alpha _{1}^{3}\ +\ A_{4}\ \alpha _{1}^{4}\ +\ o(\alpha _{1}^{4})}

en puissances de α 1 = α / π   0 , 002   322   819   465   36 {\displaystyle \alpha _{1}=\alpha /\pi \simeq \ 0,002\ 322\ 819\ 465\ 36} .

Note : le moment magnétique de l'électron est, à quelques millièmes près, égal au moment magnétique orbital, le magnéton de Bohr. Cela se voit dès la première correction par Julian Schwinger. En fait, la valeur de la constante de structure fine est tirée de cette formule de l'électrodynamique quantique et on obtient :

1 / α = 137 , 035   999   070   ( 98 ) {\displaystyle 1/\alpha =137,035\ 999\ 070\ (98)} [b].

Première correction de Schwinger

Correction à une boucle au vertex électron-photon.

Le premier terme du développement, calculé par Schwinger en 1948, vaut simplement : A 1 = 1 / 2 {\displaystyle A_{1}=1/2} . Ce fut le premier grand succès de la toute nouvelle électrodynamique quantique. Ce calcul, qui repose sur le diagramme de Feynman ci-contre, est aujourd'hui un exercice standard pour tout étudiant de troisième cycle débutant en théorie quantique des champs.

Les calculs des termes suivants sont beaucoup plus compliqués, car le nombre de diagrammes croit exponentiellement vite avec l'ordre du développement.

Correction d'ordre deux

Ce calcul fait intervenir 7 diagrammes de Feynman. Un premier résultat – erroné – a été publié en 1950, puis revu et corrigé en 1957-1958. On obtient[8] :

A 2   =   197 144   +   ( 1 2 3   ln 2 )   ζ ( 2 )   +   3 4   ζ ( 3 ) {\displaystyle A_{2}\ =\ {\frac {197}{144}}\ +\ \left({\frac {1}{2}}-3\ \ln 2\right)\ \zeta (2)\ +\ {\frac {3}{4}}\ \zeta (3)}

dont la valeur numérique est :

A 2       0 , 328   847   896   557   919   378... {\displaystyle A_{2}\ \simeq \ -\ 0,328\ 847\ 896\ 557\ 919\ 378...}

ζ ( s ) {\displaystyle \zeta (s)} est la fonction zêta de Riemann, définie par :

ζ ( s )   =   n = 1 +   1 n s e ( s )   >   1 {\displaystyle \zeta (s)\ =\ \sum _{n=1}^{+\infty }\ {\frac {1}{n^{s}}}\qquad \Re e(s)\ >\ 1}

et vérifiant en particulier : ζ ( 2 ) = π 2 / 6 {\displaystyle \zeta (2)=\pi ^{2}/6} .

Correction d'ordre trois

Ce calcul fait intervenir 72 diagrammes de Feynman. Le calcul, commencé en 1969, n'a été terminé et publié qu'en 1996 (Laporta et Remmidi). On obtient une expression analytique assez compliquée (voir par exemple [8]:p. 101) :

  A 3 = A 31 + A 32 + A 33 {\displaystyle \ A_{3}=A_{31}+A_{32}+A_{33}}

A 31 = 28259 5184 + ( 17101 135 596 3 ln 2 ) ζ ( 2 ) + 139 18 ζ ( 3 ) {\displaystyle A_{31}={\frac {28259}{5184}}+({\frac {17101}{135}}-{\frac {596}{3}}\cdot \ln 2)\zeta (2)+{\frac {139}{18}}\zeta (3)}

A 32 = 100 3 ( L i 4 ( 1 / 2 ) + 1 24 ( ln 4 2 π 2 ln 2 2 ) ) {\displaystyle A_{32}={\frac {100}{3}}({\rm {{Li}_{4}(1/2)+{\frac {1}{24}}(\ln ^{4}2-\pi ^{2}\cdot \ln ^{2}2))}}}

A 33 = [ 239 ζ ( 4 ) + 166 ζ ( 2 ) ζ ( 3 ) 215 ζ ( 5 ) ] / 24 {\displaystyle A_{33}=[-239\zeta (4)+166\zeta (2)\cdot \zeta (3)-215\zeta (5)]/24}

L i n {\displaystyle {\rm {{Li}_{n}\,}}} désigne la fonction polylogarithme :

L i n ( x ) = 1 x k k n . {\displaystyle {\rm {{Li}_{n}(x)=\sum _{1}^{\infty }{\frac {x^{k}}{k^{n}}}.}}}

Numériquement, on obtient :

A 3     +   1 , 181   241   456   587... {\displaystyle A_{3}\ \simeq \ +\ 1,181\ 241\ 456\ 587...}

Correction d'ordre quatre

Ce calcul, qui fait intervenir 891 diagrammes de Feynman, est impossible à faire entièrement à la main en un temps raisonnable. Il a requis l'usage intensif de l'ordinateur. T.Kinoshita, a publié en 2006 le meilleur résultat numérique[réf. nécessaire]

A 4       1 , 728   3   ( 35 ) {\displaystyle A_{4}\ \simeq \ -\ 1,728\ 3\ (35)}

La correction d'ordre 5 n'a pas été évaluée, mais on a seulement un intervalle de confiance.

On en tire l'anomalie dite universelle pour les leptons.

Comparaison théorie - expérience

Il convient alors de différencier les trois leptons: l'électron, le muon et la particule tau.

Pour l'électron

L'électron étant le lepton le plus léger, les contributions à son moment magnétique des autres leptons, des bosons vecteurs de l'interaction faible, et des quarks et gluons, sont petites, mais non négligeables à la précision actuelle. Leurs inclusions donne la prédiction théorique du modèle standard[8] :

a t h     0 , 001   159   652   153   5   ( 24   0 ) {\displaystyle a_{\rm {th}}\ \simeq \ 0,001\ 159\ 652\ 153\ 5\ (24\ 0)}

L'accord avec le résultat expérimental (2006,Odum, Phys.Rev.Lett 97) est à ce jour excellent[8] :

a e x p     0 , 001   159   652   180   85   ( 76 ) {\displaystyle a_{\rm {exp}}\ \simeq \ 0,001\ 159\ 652\ 180\ 85\ (76)}

Pour le muon

L'expérience n'est pas aussi satisfaisante. Il est vrai que le rapport de masse de ce pseudo-électron lourd est :

m μ / m e = 206 , 768   283   8   ( 5   4 ) {\displaystyle m_{\mu }/m_{e}=206,768\ 283\ 8\ (5\ 4)} et la durée de vie d'une microseconde.

et les corrections sont plus importantes, en gros de 206².

La valeur de l'anomalie du muon est pourtant affinée par les récents résultats du Laboratoire national de Brookhaven. Mais les corrections théoriques sont plus élevées ; il faut outre les corrections entre leptons, prendre en compte les corrections de l'électro-faible, et celle des hadrons. À ce jour (2023) l'anomalie est :

a t h     0 , 001   165   918   10   ( 43 ) {\displaystyle a_{\rm {th}}\ \simeq \ 0,001\ 165\ 918\ 10\ (43)}
a e x p     0 , 001   165   920   59   ( 22 ) {\displaystyle a_{\rm {exp}}\ \simeq \ 0,001\ 165\ 920\ 59\ (22)}

soit environ 5,2 écarts-type de différence[9], ce qui pose problème à l'heure actuelle (2023).

Pour le lepton tau ( τ {\displaystyle \tau } )

Sa masse est encore plus grande (1.77699 (29) GeV.c-2) et surtout sa durée de vie est 0.1 ps. Il est plus difficile à produire et la détermination de son anomalie n'a pas encore été réalisée.

Cela dit, il restera toujours à évaluer la variation de α ( E ) {\displaystyle \alpha (E)} , qui jouera encore plus à ces énergies.

Notes et références

Notes

  1. À l'usage, le terme « anormal » se rencontre fréquemment[1],[2],[3].
  2. À comparer avec la valeur CODATA (2014) : 137,035 999 139 (31)? La « meilleure » valeur est sans doute 137,035 999 084 (51) selon la référence citée (février 2008) et même seulement (21) selon (en) « Inverse fine-structure constant », sur physics.nist.gov, National Institute of Standards and Technology (consulté le ).

Références

  1. Dictionnaire de physique sur Google Livres
  2. « Le moment magnétique du muon » [PDF],
  3. Michel Davier, « Le moment magnétique anormal du muon : une fenêtre au-delà du modèle standard ? », Bulletin de la Société Française de Physique, vol. 141,‎ , p. 14 (lire en ligne)
  4. a b et c Basdevant et Dalibard 2005, part. A, chap. 3, p. 43.
  5. a et b Greulich 2004, s.v. anomalous magnetic moment, p. 87, col. 1.
  6. Taillet, Villain et Febvre 2018, s.v. anomalie [1], p. 35, col. 1.
  7. Bien que le neutron ait une charge q = 0 {\displaystyle q=0} , il possède un spin 1/2. On lui attribue ici un facteur de Landé correspondant au moment magnétique de spin calculé pour la valeur q = e {\displaystyle q=e} , afin de le comparer à ceux de l'électron et du proton. Se référer aux (en) Valeurs du facteur de Landé des particules courantes sur le site du National Institute of Standards and Technology.
  8. a b c d et e (en) Marc Knecht, The anomalous magnetic moments of the electron and the muon, séminaire Poincaré, Paris, 12 octobre 2002 [lire en ligne] [PDF], publié dans : (en) Bertrand Duplantier et Vincent Rivasseau (Eds.), Poincaré Seminar 2002, Progress in Mathematical Physics 30, Birkhäuser, 2003 (ISBN 3-7643-0579-7).
  9. (en) Aguillard, D.P.; et al., « Measurement of the Positive Muon Anomalous Magnetic Moment to 0.20 ppm », (consulté le ).

Voir aussi

Bibliographie

  • [Cladé et Julien 2018] Pierre Cladé et Lucile Julien, « Les mesures atomiques de haute précision : un outil privilégié pour tester l'électrodynamique quantique », Reflets de la physique, no 59,‎ , sect. « Images de la physique », p. 4-9 (OCLC 8675496359, DOI 10.1051/refdp/201859004, résumé, lire en ligne [PDF]).
  • [Jegerlehner 2017] (en) Friedrich Jegerlehner, The anomalous magnetic moment of the muon [« Le moment magnétique anomal du muon »], Cham, Springer, coll. « Springer tracts in modern physics » (no 274), , 2e éd. (1re éd. ), 1 vol., XVIII-693, ill. et fig., 16 × 23,5 cm, rel. (ISBN 978-3-319-63575-0 et 978-3-319-87587-3, EAN 9783319635750, OCLC 1204085386, DOI 10.1007/978-3-319-63577-4, SUDOC 203849760, présentation en ligne, lire en ligne).
  • [Knecht 2003] (en) Marc Knecht, « The anomalous magnetic moments of the electron and the muon », dans Bertrand Duplantier et Vincent Rivasseau (éd.), Poincaré Seminar  : vacuum energy – renormalization [« Séminaire Poincaré  : l'énergie du vide – la renormalisation »] (actes des deux sessions du Séminaire Poincaré , tenues à Paris les et ), Bâle, Boston et Berlin, Birkhäuser, coll. « Progress in mathematical physics » (no 30), , 1re éd., 1 vol., 331, ill., fig. et tabl., 17 × 24 cm, rel. (ISBN 3-7643-0579-7 et 3-7643-0527-4, EAN 9783764305796, OCLC 470537812, BNF 40191250, SUDOC 077106563, présentation en ligne, lire en ligne), part. II, chap. 5, p. 265-310 [« Les moments magnétiques anomaux de l'électron et du muon »] (OCLC 208389601, lire en ligne [PDF]).
  • Savely Karshenboim : precision physics, 2008, LNP 745, Sp.Verlag, (ISBN 978-3-540-75478-7) (article de Jegerlehner).
  • Sin-Itiro Tomonaga ; The story of spin, The university of Chicago press (1997), (ISBN 0-226-80794-0). Traduction anglaise d'un ouvrage paru en japonais en 1974.
  • https://arxiv.org/PS_cache/arxiv/pdf/0712/0712.2607v2.pdf

Dictionnaires et encyclopédies

  • [Greulich 2004] (en) Walter Greulich (dir.) (trad. de l'allemand), Dictionary of physics [« Lexicon der Physik »] [« Dictionnaire de physique »], t. Ier : A – Dysprosium, Londres et New York, Palgrave Macmillan, hors coll., (réimpr. avril 2016), IV-660 p., ill., fig. et portr., 21 × 28 cm, rel. (ISBN 0-333-91236-5, EAN 9780333912362, OCLC 300264361, BNF 39124330, DOI 10.1007/978-1-349-66022-3, SUDOC 079262511, présentation en ligne, lire en ligne), s.v. anomalous magnetic moment [« moment magnétique anomal »], p. 87, col. 1-2.
  • [Taillet, Villain et Febvre 2018] Richard Taillet, Loïc Villain et Pascal Febvre, Dictionnaire de physique, Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur, hors coll. sciences / physique, , 4e éd. (1re éd. ), X-956 p., ill. et fig., 17 × 24 cm, br. (ISBN 978-2-8073-0744-5, EAN 9782807307445, OCLC 1022951339, BNF 45646901, SUDOC 224228161, présentation en ligne, lire en ligne), s.v. anomal, p. 35, col. 1 ; s.v. anomalie [1], p. 35, col. 1 ; et s.v. moment magnétique anormal, p. 488, col. 1-2.

Manuels d'enseignement supérieur

  • [Basdevant et Dalibard 2005] Jean-Louis Basdevant et Jean Dalibard, Problèmes quantiques, Palaiseau, École polytechnique, coll. « Physique », , 1re éd., 210 p., ill. et fig., 17 × 24 cm, br. (ISBN 2-7302-1117-9, EAN 9782730211178, OCLC 300488843, BNF 39152504, SUDOC 77034031, présentation en ligne, lire en ligne), part. A, chap. 3 (« Anomalie de moment magnétique de l'électron »), p. 43-45.

Articles connexes

Liens externes

  • icône décorative Portail de la physique